J’ai appris la photographie dans les livres où j’ai découvert le mouvement documentaire européen et américain : André Kertész, Eugene Smith, Henri Cartier- Bresson, Ernst Haas, Margaret Bourke-White et Sebastiao Salgodo. Des photographes qui intègrent le contenu et la forme, l’humanisme et l’esthétique. Dans cette école de pensée, on dit qu’un photographe doit être concerné par son sujet, qu’il n’y a pas de place pour l’indifférence.
La connaissance des autres photographes a confirmé ma démarche. Il y a des artistes de très grande qualité chez les photographes. À mes yeux, Cartier-Bresson est un artiste aussi important que Picasso. Sa perception de la société est exceptionnelle.
La fonction première du photographe est d’enregistrer des images et documenter son époque, mais je pense que nous devons aussi exprimer nos intentions à travers nos images. Je dis toujours : « créer, c’est choisir ». Les périodes de prise de vue sont courtes et nous captons beaucoup d’images. Tout est dans le choix. J’utilise souvent le temps et la mémoire pour distiller mes choix. Je laisse dormir mes photographies pendant plusieurs années comme on laisse vieillir le vin. J’attends que les images émergent en moi. Je témoigne de la beauté qui m’entoure, c’est un choix délibéré.
Viens alors le temps de fixer mes images sur le papier. Je fais partie des photographes qui aiment imprimer leurs images eux-mêmes. Je suis un artisan, j’aime réaliser tout le processus : la prise de vue, l’archivage, le choix, la construction des séries, l’écriture des textes, l’impression, le dessin des murs des expositions.
Quand la photo s’imprimait dans des chambres noires sur des sels d’argent, je faisais souvent le rêve fou qu’un jour, j’imprimerais mes photos au grand jour avec des encres à pigments sur du papier d’archive en coton. Nous y sommes. Tous ces outils nouveaux nous ouvrent un vaste espace de création.
La photographie est un art mère comme la science pure ou la poésie. Elle a donné naissance au cinéma et à la télévision. Les photographes sont des peintres de la lumière et des travailleurs du temps. En cumulant ses fractions de seconde au cours de sa vie, un photographe ne préserve que quelques minutes de son existence. Elle est pourtant là, comme dans un code génétique, un concentré d’émotions et d’histoire, autant de clés de mémoire.