Photos : Christiane Simoneau
Négocier le réel
Techniques mixtes, sculpture
Cet énoncé paradoxal illustre une prédilection portée aux éléments constitutifs de la cuisine, un espace des plus intimes et des plus communs du vécu : table, chaise, carrelage, ustensiles, vaisselles … ont été déclencheurs et supports de sculpture. Témoins d’une vie simple, ils n’en sont pas moins révélateurs de la complexité de l’histoire d’une société, de ces conventions secrètes, de leur puissance d’évocation et d’apparition : une cuisine sous l’éclairage du petit matin ou de la nuit, une casserole percée, un fruit desséché, une pile d’assiettes débarrassée… Ces objets simples, déclinés sous plusieurs configurations formelles, sont une façon de travailler ces interstices depuis ces instants quotidiens communément partagés, de jouer d’un équilibre instable entre abstraction et réalité. Le travail artistique qui les rend présents et méconnaissables met en scène cette apparition et disparition au gré des techniques, des procédures plastiques.
Espace et raccourci spatial
Le travail a été amorcé par des installations à caractère scénographique, de cuisine reconstituée avec des objets défectueux. Des études accompagnaient ces installations sous forme de livres typographiques, photographies, dessin et sérigraphies. Ces études ont certainement introduit un basculement perspectif de l’espace à une frontalité, sous forme de bas-relief comme l’œil voit à deux dimensions et le regard à trois dimensions. La profondeur, le relief est un supplément accordé par le cerveau. L’ensemble de la démarche repose sur une dualité entre perception et intellection : basculement constant des deux aux trois dimensions, moment arrêté à la fluidité du temps, de la reconnaissance à la dénégation, du signe au matériau.
Mes sculptures décomposent des étapes dans ce processus de négociation depuis l’informe vers la forme reconnaissable et vice versa. Cette démarche convoque des pratiques qui se succèdent autour de cette même question. Chaque technique porte le souvenir de la précédente en tissant une mémoire de ces étapes: installation, dessin, photographie, typographie, livre d’artiste, sérigraphie, bas-relief, sculpture, céramique, chorégraphie, vidéo, textile, marionnette, fonte…
Dans la série si peu reconnaissable, un processus de concrétion et de dislocation fait émerger des silhouettes qui les apparentent à des chaises. Elles s’appuient sur la fantastique propension du regard à faire image et à faire sens.
Ces silhouettes ont été obtenues par adjonction de morceaux déchirés d’adhésifs comme un modelage monté à la boulette. L’agrégation des morceaux déchiquetés donnait plus d’importance à la structure et au mouvement d’ensemble qu’au détail ou au lissage. À l’inverse de la représentation et quitte à prendre un aspect monstrueux, le projet était d’associer des éléments informes pour les tendre jusqu’à une vraisemblance qui engage le regard à les identifier à des formes repérables.
Ces formes ont resurgi à l’occasion d’une collaboration avec une chorégraphe. La temporalité de la danse lançait un autre défi à la sculpture et ces formes ont été démantibulées pour être transposées dans des matériaux souples, articulés. Dans ce processus d’élaboration, les métamorphoses apportées par le changement d’échelle, les décompositions de plans, les réalisations en matériaux et techniques différents multiplient les approches.
La céramique a rigidifié la souplesse des poses apportées par le mouvement de la danse pour les suspendre dans des postures étirées, désarticulées.
La pesanteur s’est alanguie donnant l’illusion d’un temps suspendu dans cette attraction vers le sol. La maille les a agrandies retournant aux masses colorées d’origine. Lestées, elles se déforment dans des postures appesanties.Chaque transformation répercute l’étape précédente dans un cortège de transfiguration et de déchéance.
Ces sculptures déploient des passages vers l’identification. Éventuellement, ce processus peut enclencher un retour en arrière vers une forme déchue revenue à l’état de matériau.
Ghislaine Vappereau
Paris, France
L’artiste est sculpteur et maître de conférences émérite en arts plastiques à l’université d’Amiens, habilitée à diriger des recherches, elle est responsable d’un axe de recherche : les temporalités dans les pratiques contemporaines, au sein du centre de recherche CRAE 4291
Sa recherche menée dans le champ de la sculpture repose sur la perception et la part d’interprétation dans la perception du réel. Cette démarche convoque des pratiques qui portent le souvenir de la précédente en tissant une mémoire de ces étapes. (Installation, dessin, photographie, typographie, livre d’artiste, sérigraphie, bas-relief, sculpture, céramique, chorégraphie, vidéo, textile, marionnette…) Ghislaine Vappereau expose régulièrement son travail dans des musées, centres d’art et à la Galerie Jacques Levy à Paris. Elle est représentée dans des collections publiques françaises.
L’artiste est sculptrice et maître de conférences émérite en arts plastiques à l’université d’Amiens, habilitée à diriger des recherches, elle est responsable d’un axe de recherche : les temporalités dans les pratiques contemporaines, au sein du centre de recherche CRAE 4291
Sa recherche menée dans le champ de la sculpture repose sur la perception et la part d’interprétation dans la perception du réel. Cette démarche convoque des pratiques qui portent le souvenir de la précédente en tissant une mémoire de ces étapes. (Installation, dessin, photographie, typographie, livre d’artiste, sérigraphie, bas-relief, sculpture, céramique, chorégraphie, vidéo, textile, marionnette…) Ghislaine Vappereau expose régulièrement son travail dans des musées, centres d’art et à la Galerie Jacques Levy à Paris. Elle est représentée dans des collections publiques françaises.